Si tout était à recommencer, jenlèverai de ma vie lenfance et ladolescence pour rejoindre dun pas certain et immédiat ladulte que je suis devenue.
Quand la lucidité précoce gribouille les rêves les plus simples, le monde extérieur devient très vite insupportablement lourd de réalité. Seul lamour allège les lourdeurs et chez nous, lamour était notre unique richesse.
De toutes les petites filles de mon âge, javais cette sensation constante dêtre à linverse de la normalité. Sensation que lon aurait facilement pu comparer à une prétention. De tous les papas des filles de mon âge, tu en étais le vétéran. Cela na lair de rien mais les souvenirs quun père de cinquante ans raconte à sa petite fille nont rien à voir avec ceux dun père de trente ans. Javais déjà vingt ans dhistoires de plus que tous les autres enfants. Mais ce nétait pas le pire, bien au contraire je portais cette différence avec fierté comme une rareté recherchée.
Les images les plus douloureuses que jose aujourdhui regarder en face sans quaucune larme ne puisse être versée, sont celles de cette ville au nord de la Belgique où les gens sont aussi laids que méchants. Ville noire et remplie de morts vivants remplaçant la langue française tant détestée par un patois flamand bas de gamme et sans poésie que jai appris par coeur pour me défendre de mes ennemis. Une ville où les carnavals ressemblaient plus à un défilé nazi quà un jour de fête coloré, un coin de pays en guerre où les affronts journalièrement me tombaient dessus comme des bombes. Pas un dimanche tranquille, serein dans ce patelin maudit dans lequel jai rencontré plus de crachats que de poignées de main amicales. Des visites touristiques, il y en avait chaque semaine, des cars entiers dextrémistes venus pour manifester leur différence, et leur volonté à lunification de la langue à coup de matraque. Aujourdhui, à ce sujet, plus aucune haine ne subsiste, simplement une préférence pour la langue française, un choix à travers lequel sexpriment pleinement et instinctivement mes sentiments. Il marrive quelques fois de relire certains poètes flamands comme Guido Gezelle de la même manière que je me plais à lire Yeats en anglais. Qu'il serait bon de croire que la tolérance puisse devenir l'espéranto du futur.
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