LASTINDEXNEXT

Les paysages continuent leur défilé, s’autorisant quelques modifications au cours des kilomètres qui s’égrainent comme des minutes rejoignant paisiblement les heures. Mon regard s’accroche à celui de mon amour et les images de notre première rencontre réapparaissent aussi chaudes, aussi claires que le ciel de cet après-midi d’août. Le sol du sud-ouest écume d’une chaleur lourde et étouffante. Je n'ai aucune envie de me rendre à ce mariage. Ils vont s'unir pour la vie, comme je l'avais fait un an auparavant. Moi, je suis une autre dans une autre vie. Tout est à refaire. Ne pas y penser. Avancer et aimer.
Au volant de ma voiture, les paysages déserts défilent régulièrement. Je roule au présent. J’écrase le passé. Le chagrin subsiste mais il se tait. Les pleurs ruissellent sans larme. Un soleil large et brutal inonde les terres. J'emprunte l'autoroute vers une autre histoire. Je sors péniblement de la voiture trois chaises noires pliantes. J'avance à petits pas vers le jardin. Il y a du monde. Certains allongés dans des transats s'irradiant sous le flot de lumière, d'autres se rafraîchissant par quelques gorgées de jus de fruit. Notre histoire a commencé lorsque son dos m’a regardée.

Il portait un tee-shirt noir, un pantalon noir, et une veste saharienne noire. En quelques secondes ses talons se sont retournés emportant avec eux son regard vers le mien. Nous nous aimions déjà. La soirée a rejoint la journée à pas de loup. Il racontait des légendes bretonnes et captivait jusqu'à l'hypnotisme. On l'écoutait les yeux fermés. Je le regardais le coeur ouvert. Ses mots, comme une douce absinthe, enivraient les esprits maigres de rêves. Dans la nuit épaisse, il m'a pris la main pour rejoindre sa petite chambre d'hôtel. Notre passion et notre désir remplaçaient sans peine les meubles manquant de cet espace vétuste. Allongée sur ce lit monoplace, il s'est agenouillé. Mon sweat s'est laissé remonter de ses doigts habiles et délicats. Il m'a dit : "on dirait un corps d'adolescente" et j'ai souri. Nos corps aux chairs nues et chaudes suintaient de plaisir. Nous nous sommes unis dans la sensualité, l'érotisme en fête de nos fantasmes. Nous nous sommes recréés l'un dans l'autre pour ne plus jamais se quitter. Ivres de caresses, de mots, de baisers, le sommeil est venu nous envelopper de ses larges bras sereins. La chaleur transpirant de lumière nous a réveillés. Mes bras nus entouraient son visage. Sa respiration lente et rythmée berçait mes chimères. Notre histoire se poursuivait sans crainte des lendemains.

En une nuit à peine, j’étais purifiée. L'image de mes amants défilant dans mon lit comme les paysages que l'on voit au travers des fenêtres d'un train, ne m'appartenait plus. J'étais une autre, dans une autre vie, dans sa vie. Mes silences se remplissaient de ses mots. Mes angoisses mouraient peu à peu dans les bras de son souffle rassurant. Mes chagrins se sont allégés dans ses sourires généreux. Avec lui, tout était simple et vrai. Je n'avais plus besoin de mentir pour être heureuse, ni de fermer les yeux pour ressentir un "je t'aime". La vie me consumait depuis si longtemps. Aujourd'hui, pour la première fois, je la consommais.


Il habitait Paris, je vivais à Bordeaux. Nos deux univers auraient pu être séparés de cinq mille kilomètres de plus, cela n'aurait changé en rien l'état ni la viabilité de nos sentiments. J'ai fait de ma vie ce que je voulais qu'elle soit : être près de lui. Cela ne relevait pas d'un choix mais d'un besoin. Mon amour, mon amant, mon ami que ta voix douce et rassurante reste à jamais blottie dans le creux de mes tympans. Que tes yeux noirs et bridés gardent leur chaleur et leur brillance jusqu'à ce que la mort nous rappelle à l'ordre de sa programmation. Que ton coeur généreux se repose à mes côtés pour ne pas sombrer dans l'épuisement. Prends mes mains et ma bouche lorsque l'avenir te fera peur. Par amour et dans l'amour, nous garderons les mêmes "je t'aime" gravés dans notre éternité. Avec toi, mon amour je n’ai plus peur du temps qui passe, et qui passera de toute manière trop vite quand on s’aime. L’unique angoisse qui subsiste ce sont mes mots qui ne sont que dits et toutes mes pensées pour toi qui sont là évanouies dans l’espace d’une mémoire vive sommeillant paisiblement au creux de l’impalpable. Pour que le sablier de nos vies ne descende trop rapidement sans que ne subsiste un seul de ces mots, je me fais voleuse d’écriture. Outil précieux. Baguette magique faisant réapparaître d’un seul coup, noir sur blanc, l’émotion. Notre passion.


LASTINDEXNEXT
Back